Non. On ne peut pas cautionner le discours de haine en invoquant la liberté d’expression. La liberté d’expression n’a jamais protégé le discours de haine.
Or les fans d’Éric Zemmour – nombreux dans les médias – sèment la confusion à ce sujet, et c’est grave. Ils font de l’abuseur une victime, en offrant au passage une caution intellectuelle à ses idées nauséabondes. Mais la caution est branlante.
On voit en effet se multiplier de fervents éditos pour défendre avec insistance « la liberté d’expression » du polémiste, qui omettent curieusement de rappeler qu’il a été condamné pour incitation à la haine raciale à de multiples reprises, et qu’il sera encore jugé le 17 janvier pour complicité de provocation à la haine raciale et d’injure raciale. Pour lui, c’est du gâteau. Il prend la parole, il viole la loi, on le réinvite.
Déjà, il est faux de prétendre que la Ville de Genève a menacé sa liberté d’expression. Elle a signifié que ce personnage [multirécidiviste] n’est « pas le bienvenu » dans ses propres locaux. Ceci, pour signaler qu’elle ne cautionne pas ce discours. Mais la Ville ne lui a pas interdit l’accès au territoire. Il peut aller discourir où il veut ailleurs, donc non, les autorités ne l’ont pas du tout « censuré », idée très faussement répandue par ses adeptes.
Ensuite, soulignons le ridicule de ce « combat »: Zemmour n’est pas exactement en mal de visibilité. Rien qu’en septembre, il a été mentionné 4200 fois dans les médias français, du jamais vu, infiniment plus que tous les autres candidats à la présidentielle français réunis, y compris Macron.
Mais surtout, et je pense qu’il faut s’en inquiéter, c’est la première fois qu’on voit des journalistes défendre avec insistance la liberté d’expression d’une personne coupable de haine raciale. On a là une tentative de caution intellectuelle douteuse en faveur d’une certaine extrême-droite. Une véritable dérive, qui salit le concept de liberté d’expression: celui-ci ne s’invoque pas dans le cas de racistes régulièrement condamnés par la justice. Comme pour tous les personnages ouvertement racistes, la liberté d’expression est évidemment plus limitée que celle de personnes qui n’ont jamais été condamnées pour incitation à la haine, qui ne sont pas connues pour entretenir un discours de haine récurrent et pour violer la loi une fois sur deux, en pariant sur le fait qu’on va continuer à les inviter. Donc non, et dix fois non, on n’ouvre pas toutes les portes grandes ouvertes à ceux qui répandent la haine des autres avec acharnement.
Un personnage déjà trop visible
Le plus grandguignolesque chez ces défenseurs de la « liberté d’expression » de Zemmour, c’est qu’ils dénoncent « la censure » d’un personnage qui – encore une fois – est peut-être le personnage le plus visible au plan médiatique dans le monde francophone, et ce même après ses condamnations.
Donc en réalité, c’est bien son omniprésence médiatique qui pose problème. Elle lèse les communautés visées, victimes de la haine et du rejet qu’il répand à leur égard, et qui doivent supporter à longueur de journée de vivre dans ce climat nauséabond que ses discours entretiennent. Ce climat est incitatif à la discrimination et à la violence, et les responsables sont les émetteurs et défenseurs de ces discours puants. Les bonnes âmes qui donc ont dévoyé la notion de « liberté d’expression » pour cautionner Zemmour et ses idées d’extrême-droite doivent réfléchir à leur responsabilité directe dans la montée de la violence inévitable que cela causera.
Non. La liberté d’expression, que l’on est nombreux et nombreuses à défendre depuis de nombreuses années, c’est tout autre chose. Ce n’est pas la défense décomplexée de discours de haine qui se fichent ouvertement des lois qui protègent l’intégrité des citoyens. Ca, ce n’est pas défendable. Le défendre revient à être complice d’incitation à la haine.
Ce n’est pas cela, la liberté d’expression
Non, la défense de la liberté d’expression, c’est tout autre chose. C’est la défense de toutes les opinions qui ne tombent pas sous le coup de la justice, qui ne relèvent pas du discours de haine, qui ne font pas partie d’une pensée raciste déjà bien identifiée et maintes fois condamnée, qui n’ont pas fait l’objet de multiples jugements préalables, mais que pourtant on aimerait censurer, uniquement parce qu’elles dérangent, qu’elles agacent, ou qu’elles vont à l’encontre d’une doxa. La défense de la liberté d’expression, c’est la défense de toutes les idées non répréhensibles mais qu’on veut censurer en vertu de notions de « bien-pensance » poussées à l’extrême et qui rappellent la notion d’hérésie connue sous la Grande Inquisition. Ça, c’est très différent, encore une fois, de la défense frontale et frauduleuse du discours de haine raciale et confessionnelle, qui ne sera jamais protégé par la liberté d’expression.